dimanche 16 juin 2013

BQ de la semaine du 10 juin 2013

Lundi 10 juin. Strasbourg. Visite du Musée alsacien.
Puissance du calendrier des travaux et des jours, doublé d’un calendrier de fêtes et de mets. C’est, sous les aléas brutaux de l'histoire, le temps cyclique des paysans. Modestie de la vie matérielle, économie des consommations, importance des savoirs féminins comme les conserves, l’entretien, la pharmacopée : le monde perdure grâce aux femmes.
L’accent mis sur l'accumulation, génération après génération, du capital souligne à la fois l’acquisition de la terre, les mariages judicieux, l’investissement dans la maison (capital matériel) ; l’importance de la foi et de la bonne renommée (capital symbolique) ; l’importance vitale, enfin, des liens de parenté, d'amitié, de voisinage (capital social) dans ce monde de familles plutôt nucléaires
Sous le christianisme qui semble tout recouvrir, pointe néanmoins la vieille religion du néolithique : la religion de la patience, le respect distant des forces invisibles (si présentes dans les contes), la prudence en toute chose, en particulier dans les mots et une sorte de pessimisme méthodologique (on sait ce que l'on a, mais demain peut être encore pire qu'aujourd'hui) qui sert de vraie boussole à la vie. C'est, sous un autre climat et d'autres formes, le monde du Cheval d'orgueil.

Mardi 11 juin. Visite au Mémorial de l'Alsace-Lorraine à Schirmeck (ancien camp de concentration)
Le poids de l'histoire et de la politique familiale, le poids de l'histoire et de la politique dans ma famille : guerres, séparations, exodes, déportations, épuration culturelle à plusieurs reprises, perdants et gagnants des changements, culpabilité et tristesse. On mesure l'horreur des années qui vont de 1914 à 1945-1946 : trente ans de malheurs, comme pendant la Guerre du même nom. Pourtant, la société dans ces années terribles ne craque pas : les familles, les entreprises, la vie villageoise, la foi et les traditions se maintiennent tant bien que mal. C'est ce que racontent, avec humour, les mémoires inédites de mon père.
Après le choc politique, le choc anthropologique : la fin de la civilisation paysanne et du faire-valoir direct, l'éclatement géographique des familles, la disparition de la foi et la transformation des traditions en folklore. En bref, le chamboulement de tous les cadres et de tous les repères. Pour beaucoup, c'est la vie en ville, l'isolement, la crainte du chômage, une certaine prolétarisation masquée derrière les illusions de la société de consommation, l'incompréhension vis-à-vis des jeunes et des étrangers. Que sommes-nous devenus ? Où va l'Alsace ? Comment s'étonner de cette pointe d'angoisse à l'issue d'un siècle de fer qui n'a laissé debout que le bâti et quelques paysages ?
Et que dire des peuples d'Europe où le temps du malheur doit être multiplié par deux ou trois, les peuples d'Europe centrale, du Caucase et de la Baltique, passés sous le joug soviétique, les Russes, les Ukrainiens, les peuples des Balkans? Comment imaginer que l'Europe puisse retrouver une certaine tranquillité ?

Mercredi 12 juin. Entretien avec des journalistes américains.
L'Europe a-t-elle été surprise par la crise financière et économique ? FD défend le point de vue que l'Europe n'a pas été prise de court, mais s'est trouvée, au départ, démunie d'instruments et de moyens pour faire face aux trois volets de la crise qui n'ont eu de cesse de se renforcer mutuellement:
- une crise du secteur financier et bancaire : il n'existait rien au niveau central en matière de contrôle et de supervision. Les choses se construisent par étapes. Il est normal qu'il y ait de la résistance. Dans un système capitaliste, il y a nécessairement des rapports entre les pouvoirs politiques et les responsables de la formation du capital et de la création monétaire. Ces liens étaient nationaux et anciens. Ils ne cesseront pas. Mais il y a une pression interne et externe pour une supervision mieux centralisée et plus transparente.
- une crise de la dette publique : l'Union n'avait aucune compétence sur le budget des Etats souverains. Elle a inventé des mécanismes pour éviter les dérapages incontrôlables, au sein de la zone euro et au-delà. Ces mécanismes sont en « rodage », complétés par des fonds d'urgence qu'il a fallu inventer au milieu du gué et par une action volontariste de la Banque centrale européenne qui est encore contestée par certains.
- une crise de compétitivité : l'Union avait élaboré la stratégie de Lisbonne, mais pas vraiment les moyens pour s'assurer que les Etats la mettent en application. Cet état de fait est en train de changer avec le Pacte Europlus, les recommandations économiques de la Commission, les programmes d'ajustement pour les pays où la situation est très dégradée. Bien-sûr, il y a des équilibres, des réglages à trouver.
Au total, la crise aura obligé l'Union européenne à prendre la mesure de ses carences et, en partie, à se réinventer. Elle l'a fait très vite. Cela ouvre désormais une période d'évaluation et de consolidation que les observateurs outre-Atlantique vont suivre avec le plus grand intérêt.

Jeudi 13 juin. Les pro-européens britanniques posent leurs conditions à Cameron.
Pas d'alliance avec l'extrême-droite, ni de menace de sortie de l'Union, ni de contestation sur la nécessité d'un double contrôle démocratique que ce soit au niveau national sur la politique européenne des dirigeants, au plan européen sur la législation européenne et l'action des dirigeants européens. James Elles, ancien conseiller de la Fondation pour l'innovation politique, ancien Président de l'European Ideas Network, membre britannique du Parlement européen, anime en partie la réflexion sur ces lignes rouges à ne pas dépasser. Quand les pro-européens de la droite française auront-ils le courage de montrer la même clarté et de poser les mêmes limites à l'improvisation ? (http://www.jameselles.com/)

Vendredi 14 juin.
Il faut souligner le grand intérêt du petit opuscule de Philippe Even sur La Question du médicament, Paris, Institut Diderot, 2013 : la nécessité d'un tri des médicaments, mais aussi celle d’une refondation de cette industrie vitale au bord de l'effondrement économique, scientifique et moral. Comment traiter le problème d'un ajustement là où le marché ne semble pas pouvoir fonctionner seul ? Qui peut s’arroger cette autorité ?
Or, pose-t-on la question à la bonne échelle ? Ne faut-il pas élargir à l'Europe et, surtout, élargir le champ à l'ensemble du processus de santé sans en rester aux produits utilisés ? A savoir, l’éducation à la santé ou l’hygiène, les systèmes de diagnostic et de prescription, des choix alternatifs pour les patients, les financements...
Cependant, la triple difficulté d'un "passage à l'Europe" doit être levée en matière pharmaco-médicale : les rapports particuliers, dans chaque pays, entre pouvoir et système de santé, la puissance des lobbies privés et l’hétérogénéité des cultures autour des soins. Faut-il pour autant renoncer?