Lundi
10 juin. Strasbourg. Visite du Musée alsacien.
Puissance
du calendrier des travaux et des jours, doublé d’un calendrier de fêtes et de
mets. C’est, sous les aléas brutaux de l'histoire, le temps cyclique des
paysans. Modestie de la vie matérielle, économie des consommations, importance
des savoirs féminins comme les conserves, l’entretien, la pharmacopée : le
monde perdure grâce aux femmes.
L’accent
mis sur l'accumulation, génération après génération, du capital souligne à la
fois l’acquisition de la terre, les mariages judicieux, l’investissement dans
la maison (capital matériel) ; l’importance de la foi et de la bonne
renommée (capital symbolique) ; l’importance vitale, enfin, des liens de
parenté, d'amitié, de voisinage (capital social) dans ce monde de familles
plutôt nucléaires
Sous le
christianisme qui semble tout recouvrir, pointe néanmoins la vieille religion
du néolithique : la religion de la patience, le respect distant des forces
invisibles (si présentes dans les contes), la prudence en toute chose, en
particulier dans les mots et une sorte de pessimisme méthodologique (on sait ce
que l'on a, mais demain peut être encore pire qu'aujourd'hui) qui sert de vraie
boussole à la vie. C'est, sous un autre climat et d'autres formes, le monde du Cheval
d'orgueil.
Mardi
11 juin. Visite au Mémorial de l'Alsace-Lorraine à Schirmeck (ancien camp de concentration)
Le poids
de l'histoire et de la politique familiale, le poids de l'histoire et de la
politique dans ma famille : guerres, séparations, exodes, déportations,
épuration culturelle à plusieurs reprises, perdants et gagnants des
changements, culpabilité et tristesse. On mesure l'horreur des années qui vont
de 1914 à 1945-1946 : trente ans de malheurs, comme pendant la Guerre du même
nom. Pourtant, la société dans ces années terribles ne craque pas : les
familles, les entreprises, la vie villageoise, la foi et les traditions se
maintiennent tant bien que mal. C'est ce que racontent, avec humour, les
mémoires inédites de mon père.
Après le
choc politique, le choc anthropologique : la fin de la civilisation paysanne et
du faire-valoir direct, l'éclatement géographique des familles, la disparition
de la foi et la transformation des traditions en folklore. En bref, le chamboulement
de tous les cadres et de tous les repères. Pour beaucoup, c'est la vie en
ville, l'isolement, la crainte du chômage, une certaine prolétarisation masquée
derrière les illusions de la société de consommation, l'incompréhension
vis-à-vis des jeunes et des étrangers. Que sommes-nous devenus ? Où va l'Alsace
? Comment s'étonner de cette pointe d'angoisse à l'issue d'un siècle de fer qui
n'a laissé debout que le bâti et quelques paysages ?
Et que
dire des peuples d'Europe où le temps du malheur doit être multiplié par deux
ou trois, les peuples d'Europe centrale, du Caucase et de la Baltique, passés
sous le joug soviétique, les Russes, les Ukrainiens, les peuples des Balkans?
Comment imaginer que l'Europe puisse retrouver une certaine tranquillité ?
Mercredi
12 juin. Entretien avec des journalistes américains.
L'Europe
a-t-elle été surprise par la crise financière et économique ? FD défend le
point de vue que l'Europe n'a pas été prise de court, mais s'est trouvée, au
départ, démunie d'instruments et de moyens pour faire face aux trois volets de
la crise qui n'ont eu de cesse de se renforcer mutuellement:
- une
crise du secteur financier et bancaire : il n'existait rien au niveau central
en matière de contrôle et de supervision. Les choses se construisent par
étapes. Il est normal qu'il y ait de la résistance. Dans un système
capitaliste, il y a nécessairement des rapports entre les pouvoirs politiques
et les responsables de la formation du capital et de la création monétaire. Ces
liens étaient nationaux et anciens. Ils ne cesseront pas. Mais il y a une
pression interne et externe pour une supervision mieux centralisée et plus
transparente.
- une
crise de la dette publique : l'Union n'avait aucune compétence sur le budget
des Etats souverains. Elle a inventé des mécanismes pour éviter les dérapages
incontrôlables, au sein de la zone euro et au-delà. Ces mécanismes sont en
« rodage », complétés par des fonds d'urgence qu'il a fallu inventer
au milieu du gué et par une action volontariste de la Banque centrale
européenne qui est encore contestée par certains.
- une
crise de compétitivité : l'Union avait élaboré la stratégie de Lisbonne, mais
pas vraiment les moyens pour s'assurer que les Etats la mettent en application.
Cet état de fait est en train de changer avec le Pacte Europlus, les
recommandations économiques de la Commission, les programmes d'ajustement pour
les pays où la situation est très dégradée. Bien-sûr, il y a des équilibres,
des réglages à trouver.
Au
total, la crise aura obligé l'Union européenne à prendre la mesure de ses
carences et, en partie, à se réinventer. Elle l'a fait très vite. Cela ouvre
désormais une période d'évaluation et de consolidation que les observateurs
outre-Atlantique vont suivre avec le plus grand intérêt.
Jeudi
13 juin. Les pro-européens britanniques posent leurs conditions à Cameron.
Pas
d'alliance avec l'extrême-droite, ni de menace de sortie de l'Union, ni de
contestation sur la nécessité d'un double contrôle démocratique que ce soit au
niveau national sur la politique européenne des dirigeants, au plan européen
sur la législation européenne et l'action des dirigeants européens. James
Elles, ancien conseiller de la Fondation pour l'innovation politique, ancien
Président de l'European Ideas Network, membre britannique du Parlement
européen, anime en partie la réflexion sur ces lignes rouges à ne pas dépasser.
Quand les pro-européens de la droite française auront-ils le courage de montrer
la même clarté et de poser les mêmes limites à l'improvisation ? (http://www.jameselles.com/)
Vendredi
14 juin.
Il faut
souligner le grand intérêt du petit opuscule de Philippe Even sur La
Question du médicament, Paris, Institut Diderot, 2013 : la nécessité d'un tri des
médicaments, mais aussi celle d’une refondation de cette industrie vitale au
bord de l'effondrement économique, scientifique et moral. Comment traiter le
problème d'un ajustement là où le marché ne semble pas pouvoir fonctionner
seul ? Qui peut s’arroger cette autorité ?
Or,
pose-t-on la question à la bonne échelle ? Ne faut-il pas élargir à l'Europe
et, surtout, élargir le champ à l'ensemble du processus de santé sans en rester
aux produits utilisés ? A savoir, l’éducation à la santé ou l’hygiène, les
systèmes de diagnostic et de prescription, des choix alternatifs pour les
patients, les financements...
Cependant,
la triple difficulté d'un "passage à l'Europe" doit être levée en
matière pharmaco-médicale : les rapports particuliers, dans chaque pays, entre
pouvoir et système de santé, la puissance des lobbies privés et l’hétérogénéité
des cultures autour des soins. Faut-il pour autant renoncer?