vendredi 31 mai 2013

BQ de la semaine du 27 mai

27 mai 2013. Une rencontre avec la DG Connect est l'occasion d'évoquer le rapport d'une firme de conseil sur les technologies de rupture, susceptibles de changer le visage de l'économie mondiale. Leur simultanéité pourrait changer le paradigme dominant pour les prochaines années. La rapidité de leur introduction et leur potentiel en termes de valeur ajoutée sont-ils bien évalués par les systèmes publics de prospective ? Ne sommes-nous pas prisonniers d'une myopie qui nous persuade un peu vite que rien ne va fondamentalement bouleverser nos possibilités de croissance dans les années qui viennent et qu'il faudrait donc surtout apprendre à gérer la pénurie...?


28 mai 2013. Dans un entretien avec Henri Lepage, penseur libéral de l'Institut Turgot, ancien directeur politique de l'European Ideas Network (un des seuls à avoir identifié la spéciation et les signes avant-coureurs de la crise de l'Euro), il est question des raisons quant à l'absence de sortie de crise.
Il existerait une convergence paradoxale des keynésiens (Krugman) et des monétaristes, plaidant tous pour une injection de liquidités publiques afin de relancer l'économie, configuration que l’on observe aux Etats-Unis, en Angleterre, comme naguère au Japon. Selon Lepage, l'opinion se voit travaillée en faveur une relance par un surcroît d'endettement public après avoir été matraquée de slogans sur l'austérité, la discipline, la vertu du surplus budgétaire.
Cette convergence repose sur un diagnostic commun. Les économistes auraient, en effet, identifié une "trappe à liquidités" qui réduit la masse monétaire en circulation et, du coup, le crédit et les investissements alors même que les taux sont très bas et que beaucoup d'Etats pratiquent généreusement le Credit Easing.

Or, selon Henri Lepage, il n'y a pas de trappe à liquidités en soi, ni d’absence de crédit ou de projets susceptibles d'attirer des investisseurs, mais un déficit de garanties (ou de collatéraux, si l'on préfère un terme plus technique). Dans un contexte où chacun cherche à minimiser la prise de risque, le crédit ne se fait  plus que sur la base de garanties. Or, une partie des actifs considérés comme sûrs (sub-prime, bons du trésor, titres des institutionnels) se sont avérés plus risqués que prévus ; le renforcement des règles prudentielles (processus de Bâle, Franck-Dodd's Act, supervision européenne) contribue et va contribuer à raréfier les garanties mobilisables (sans restaurer tout à fait la confiance). L'éventail des risques est donc plus large qu'on ne le croit et beaucoup évoquent le risque de "japanisation" de l'économie européenne (faible croissance, désendettement lent et par étape, surévaluation de la devise), les tentatives de rationaliser le "shadow-banking"

D’autres risques existent :
- celui d'une phase brutale d'hyperinflation déclenchée par l'injection déjà massive de liquidités. La brusque remontée des taux pourrait faire une casse incalculable pour les Etats-Unis (et le dollar), la Grande-Bretagne, la France... ;
- celui d'une sorte d'aérophagie avec des bulles spéculatives plus ou moins durables sur les actifs présentant un statut de garantie acceptable : les bons du trésor, les obligations, certaines actions, l'immobilier, le foncier, certaines matières premières.. ;
- celui d'un déplacement en masse du coeur du marché des capitaux vers l'Asie où les conditions de la confiance et la qualité des collatéraux pourrait apparaître meilleures.

29 mai 2013. Coup de gueule non documenté sur les gaz de schistes en France. Un entretien avec un ancien mastérien travaillant pour un grand groupe pétrolier est l'occasion d'explorer la question des gaz et huiles de schistes. Ces gaz sont en train de créer une révolution énergétique et industrielle aux Etats-Unis où ils ont abaissé significativement le prix de l'énergie. Ils deviennent un nouveau facteur de localisation des industries. Une partie de la chimie, qui s'était tournée vers la pétrochimie, rebascule aujourd'hui vers le gaz. Les Etats-Unis voient leur statut d'exportateur énergétique se renforcer. L'exportation de ces nouveaux produits vers l'Europe, par méthaniers, sera sans doute un des éléments dans la négociation transatlantique qui démarre. La donne énergétique en Europe peut en être altérée, avec une dépendance moins grande vis-à-vis du gaz des Russes - dont on comprend mieux la nervosité sur le Transatlantic Trade Agreement. Les façades maritimes de l'Atlantique et leurs ports importateurs pourraient trouver là l'occasion de nouveaux développements. Or la France, qui posséderait l'un des leaders mondiaux en matière de conduites d'exploitation et d'acheminement (Valourec), la France qui aurait d'importantes réserves en région parisienne, à l'épicentre même de son tissu industriel,... la France a décidé de caller pour de bon, d'enterrer tout projet et de suspendre tout débat sur l'exploitation des gaz de schistes.
La France qui n'a pas eu peur de monter toute une géopolitique de haut vol et de basses oeuvres en Afrique pour garantir ses approvisionnements énergiques...
La France qui n'a pas hésité à construire des centrales nucléaires dans des régions sismiques aux frontières de ses voisins...
La France qui a rarement froid aux yeux...
La France calle.
Et elle calle, presque en catimini.
Une fois de plus "Circulez, il n'y a rien à voir".
Non seulement elle calle, mais voudrait que l'Europe calle avec elle et interdise pour de bon à tout un chacun de songer au gaz de schistes.

Puissance du lobby écologique ? Peut-être, mais sans doute pas seulement : puissance combiné du lobby immobilier/foncier (on ne touche pas à l'Ile de France), du lobby céréalier le plus puissant du pays (Beauce, Brie, Picardie), du lobby industriel (les permis d'exploitation n'appartiennent pas à des entreprises françaises, les technologies d'exploration sont américaines, alors...) et surtout du lobby nucléaire (pourquoi renouer avec des énergies fossiles quand le renouvelable nucléaire non polluant ne demande que des investissements ?).
Fatigue et perte d'esprit industriel des élites de tous bords. Conformisme des médias et triomphe du principe de précaution. Refus surtout du débat par crainte des risques que comportent toujours l'arbitrage.
Sans doute, l'impact sur les sols, les eaux, l'agriculture, la santé publique doit être mesuré, surtout en zone urbanisée, dense, déjà porteuse de hautes valeurs ajoutées.
Mais expulser si vite le débat, alors que ses conséquences géopolitiques sont importantes - dépendance énergétique, potentiel d'exportation, rapport avec les Américains, les Russes, les Polonais (autres producteurs potentiels de gaz de schistes), les autres Européens importateurs potentiels - c'est sans doute oublier au profit d'intérêts aussi légitimes que ponctuels cette logique de risque et de pari qui appartenait au code génétique de la Ve République naissante, pour laquelle il n'y avait pas de tabou lorsqu'il s'agissait de l'indépendance et du regain de la France.

30 mai 2013. Intéressante critique à lire sur la gestion de la crise de l'Euro par un fédéraliste convaincu, proche du Président Barroso, l'élégant Dusan Sidjanski, professeur à Genève. Son papier au vitriol a été écrit juste après la crise existentielle de l'Euro (octobre 2011- août 2012), "L'Austérité, une épée de Damoclès sur la démocratie européenne", Genève, octobre 2012. De quoi démentir l'idée fausse d'un unanimisme des institutions ou des élites européennes  : non, tout le monde n'est pas d'accord avec ce qui s'est fait et ce qui se fait; tout le monde n'est pas dupe des risques que cela fait courir à la cause européenne; tout le monde n'est pas pressé de ralentir et de faire droit à l'exaspération populiste qui réclame, depuis le début, de tout stopper et de faire marche arrière.

31 mai 2013. Lecture du vieux (et gentil) roman de Jean d'Ormesson, Au Plaisir de Dieu. Une plongée dans la pensée conservatrice française, son organicisme, son enracinement campagnard et son intolérance imperméable. Pas beaucoup de hargne dans tout ça. Pas beaucoup d'extrémisme dans ces extrêmes-là. Pas beaucoup de plasticité non plus.
Et si les écolos, aujourd'hui à la mode, étaient les vrais héritiers  - sans les châteaux et les curés s'entend - avec leur solidarisme, leur intérêt pour les pauvres (sans se préoccuper des rapports de production qui les produisent en masse), leur fascination pour la décroissance, leur connaissance fine des écosystèmes si supérieure à celle des économies, leur conviction permanente, mais finalement pas très prosélyte, d'être dans le vrai et le juste, sans parler de leur apparente indifférence aux élégances du moment. Il y a aussi d'autres passerelles, moins explicables, entre cette vieille France décrite par Ormesson et quelques Verts que je connais : le respect pour l'histoire, l'intérêt pour les relations entre les puissances, les institutions, et cette même verve, souvent faussement bourrue, qui gouaille et veut faire mouche.