27 mai 2013. Une rencontre avec la DG Connect est l'occasion d'évoquer le rapport d'une firme de conseil sur les technologies de rupture, susceptibles de changer le visage de l'économie mondiale. Leur simultanéité pourrait changer le paradigme dominant pour les prochaines années. La rapidité de leur introduction et leur potentiel en termes de valeur ajoutée sont-ils bien évalués par les systèmes publics de prospective ? Ne sommes-nous pas prisonniers d'une myopie qui nous persuade un peu vite que rien ne va fondamentalement bouleverser nos possibilités de croissance dans les années qui viennent et qu'il faudrait donc surtout apprendre à gérer la pénurie...?
28 mai
2013. Dans un entretien avec Henri Lepage, penseur libéral de l'Institut
Turgot, ancien directeur politique de l'European Ideas Network (un des seuls à avoir identifié
la spéciation et les signes avant-coureurs de la crise de l'Euro), il est
question des raisons quant à l'absence de sortie de crise.
Il
existerait une convergence paradoxale des keynésiens (Krugman) et des
monétaristes, plaidant tous pour une injection de liquidités publiques afin de
relancer l'économie, configuration que l’on observe aux Etats-Unis, en
Angleterre, comme naguère au Japon. Selon Lepage, l'opinion se voit travaillée
en faveur une relance par un surcroît d'endettement public après avoir été
matraquée de slogans sur l'austérité, la discipline, la vertu du surplus
budgétaire.
Cette
convergence repose sur un diagnostic commun. Les économistes auraient, en
effet, identifié une "trappe à liquidités" qui réduit la masse
monétaire en circulation et, du coup, le crédit et les investissements alors
même que les taux sont très bas et que beaucoup d'Etats pratiquent
généreusement le Credit Easing.
Or,
selon Henri Lepage, il n'y a pas de trappe à liquidités en soi, ni d’absence de
crédit ou de projets susceptibles d'attirer des investisseurs, mais un déficit
de garanties (ou de collatéraux, si l'on préfère un terme plus technique). Dans
un contexte où chacun cherche à minimiser la prise de risque, le crédit ne se
fait plus que sur la base de
garanties. Or, une partie des actifs considérés comme sûrs (sub-prime, bons du
trésor, titres des institutionnels) se sont avérés plus risqués que prévus ; le
renforcement des règles prudentielles (processus de Bâle, Franck-Dodd's Act,
supervision européenne) contribue et va contribuer à raréfier les garanties
mobilisables (sans restaurer tout à fait la confiance). L'éventail des risques
est donc plus large qu'on ne le croit et beaucoup évoquent le risque de
"japanisation" de l'économie européenne (faible croissance,
désendettement lent et par étape, surévaluation de la devise), les tentatives
de rationaliser le "shadow-banking"
D’autres risques existent :
- celui
d'une phase brutale d'hyperinflation déclenchée par l'injection déjà massive de
liquidités. La brusque remontée des taux pourrait faire une casse incalculable
pour les Etats-Unis (et le dollar), la Grande-Bretagne, la France... ;
- celui
d'une sorte d'aérophagie avec des bulles spéculatives plus ou moins durables
sur les actifs présentant un statut de garantie acceptable : les bons du
trésor, les obligations, certaines actions, l'immobilier, le foncier, certaines
matières premières.. ;
- celui d'un déplacement en masse du
coeur du marché des capitaux vers l'Asie où les conditions de la confiance et la qualité des
collatéraux pourrait apparaître meilleures.
29 mai
2013. Coup de gueule non documenté sur les gaz de schistes en France. Un
entretien avec un ancien mastérien travaillant pour un grand groupe pétrolier
est l'occasion d'explorer la question des gaz et huiles de schistes. Ces gaz
sont en train de créer une révolution énergétique et industrielle aux
Etats-Unis où ils ont abaissé significativement le prix de l'énergie. Ils
deviennent un nouveau facteur de localisation des industries. Une partie de la
chimie, qui s'était tournée vers la pétrochimie, rebascule aujourd'hui vers le
gaz. Les Etats-Unis voient leur statut d'exportateur énergétique se renforcer.
L'exportation de ces nouveaux produits vers l'Europe, par méthaniers, sera sans
doute un des éléments dans la négociation transatlantique qui démarre. La donne
énergétique en Europe peut en être altérée, avec une dépendance moins grande
vis-à-vis du gaz des Russes - dont on comprend mieux la nervosité sur le Transatlantic
Trade Agreement.
Les façades maritimes de l'Atlantique et leurs ports importateurs pourraient
trouver là l'occasion de nouveaux développements. Or la France, qui posséderait
l'un des leaders mondiaux en matière de conduites d'exploitation et
d'acheminement (Valourec), la France qui aurait d'importantes réserves en
région parisienne, à l'épicentre même de son tissu industriel,... la France a
décidé de caller pour de bon, d'enterrer tout projet et de suspendre tout débat
sur l'exploitation des gaz de schistes.
La
France qui n'a pas eu peur de monter toute une géopolitique de haut vol et de
basses oeuvres en Afrique pour garantir ses approvisionnements énergiques...
La
France qui n'a pas hésité à construire des centrales nucléaires dans des
régions sismiques aux frontières de ses voisins...
La
France qui a rarement froid aux yeux...
La
France calle.
Et elle
calle, presque en catimini.
Une fois
de plus "Circulez, il n'y a rien à voir".
Non
seulement elle calle, mais voudrait que l'Europe calle avec elle et interdise
pour de bon à tout un chacun de songer au gaz de schistes.
Puissance
du lobby écologique ? Peut-être, mais sans doute pas seulement : puissance
combiné du lobby immobilier/foncier (on ne touche pas à l'Ile de France), du
lobby céréalier le plus puissant du pays (Beauce, Brie, Picardie), du lobby
industriel (les permis d'exploitation n'appartiennent pas à des entreprises
françaises, les technologies d'exploration sont américaines, alors...) et
surtout du lobby nucléaire (pourquoi renouer avec des énergies fossiles quand
le renouvelable nucléaire non polluant ne demande que des investissements ?).
Fatigue et perte d'esprit industriel des élites de tous bords. Conformisme des
médias et triomphe du principe de précaution. Refus surtout du débat par
crainte des risques que comportent toujours l'arbitrage.
Sans
doute, l'impact sur les sols, les eaux, l'agriculture, la santé publique doit
être mesuré, surtout en zone urbanisée, dense, déjà porteuse de hautes valeurs
ajoutées.
Mais
expulser si vite le débat, alors que ses conséquences géopolitiques sont
importantes - dépendance énergétique, potentiel d'exportation, rapport avec les
Américains, les Russes, les Polonais (autres producteurs potentiels de gaz de
schistes), les autres Européens importateurs potentiels - c'est sans doute
oublier au profit d'intérêts aussi légitimes que ponctuels cette logique de
risque et de pari qui appartenait au code génétique de la Ve République naissante,
pour laquelle il n'y avait pas de tabou lorsqu'il s'agissait de l'indépendance
et du regain de la France.
30 mai
2013. Intéressante critique à lire sur la gestion de la crise de l'Euro par un
fédéraliste convaincu, proche du Président Barroso, l'élégant Dusan Sidjanski,
professeur à Genève. Son papier au vitriol a été écrit juste après la crise
existentielle de l'Euro (octobre 2011- août 2012), "L'Austérité, une
épée de Damoclès sur la démocratie européenne", Genève, octobre 2012. De quoi
démentir l'idée fausse d'un unanimisme des institutions ou des élites
européennes : non, tout le monde
n'est pas d'accord avec ce qui s'est fait et ce qui se fait; tout le monde
n'est pas dupe des risques que cela fait courir à la cause européenne; tout le
monde n'est pas pressé de ralentir et de faire droit à l'exaspération populiste
qui réclame, depuis le début, de tout stopper et de faire marche arrière.
31 mai
2013. Lecture du vieux (et gentil) roman de Jean d'Ormesson, Au Plaisir de
Dieu. Une
plongée dans la pensée conservatrice française, son organicisme, son
enracinement campagnard et son intolérance imperméable. Pas beaucoup de hargne
dans tout ça. Pas beaucoup d'extrémisme dans ces extrêmes-là. Pas beaucoup de
plasticité non plus.
Et si
les écolos, aujourd'hui à la mode, étaient les vrais héritiers - sans les châteaux et les curés
s'entend - avec leur solidarisme, leur intérêt pour les pauvres (sans se
préoccuper des rapports de production qui les produisent en masse), leur
fascination pour la décroissance, leur connaissance fine des écosystèmes si
supérieure à celle des économies, leur conviction permanente, mais finalement
pas très prosélyte, d'être dans le vrai et le juste, sans parler de leur
apparente indifférence aux élégances du moment. Il y a aussi d'autres
passerelles, moins explicables, entre cette vieille France décrite par Ormesson
et quelques Verts que je connais : le respect pour l'histoire, l'intérêt pour
les relations entre les puissances, les institutions, et cette même verve,
souvent faussement bourrue, qui gouaille et veut faire mouche.